anne quémar

Depuis le début de ce siècle, l’art dit “contemporain/ ultra-contemporain” éclipse presque toute forme d’expression artistique avec la tyrannie d’une mode qui a imposé son hégémonie sur le monde de l’art avec un total autoritarisme. Ainsi, le figuratif a-t-il été relégué comme l’expression d’un langage dépassé, obsolète, sauf bien sûr s’il portait la signature d’un grand nom inscrit dans l’histoire de l’art, et encore. Mais depuis un certain temps déjà, la peinture-peinture, dont la mort fut annoncée maintes fois au cours du vingtième siècle, fait à nouveau un retour en force et élargit des champs nouveaux de l’art d’aujourd’hui.

  Ce regain de ferveur est illustré incontestablement par l’exposition d’Eward Hopper ces derniers mois, qui a connu une ferveur exceptionnelle, ce qui illustre de façon marquante un besoin du public de retrouver les valeurs fondamentales de l’art. Et signe des temps sans doute, de façon concomitante, on voit revenir dans les galeries, les foires et autres lieux de présentation de l’art, de la peinture dans son acceptation la plus classique, à condition bien sûr qu’elle ait tout de même dans la forme ou dans le fond, une connotation foncièrement contemporaine.

  C’est sans doute la chance d’Anne Quemar de tenter d’imposer maintenant une œuvre aussi singulière que la sienne, figurative d’apparence, mais totalement représentative de l’art d’aujourd’hui, dès lors que l’on rentre dans son univers qui figure clairement une sorte de peinture fiction, que l’on expose justement, même dans un cadre muséal, en France ces temps-ci. D’ailleurs si l’on devait douter de sa modernité, on peut rappeler qu’elle a fait une création très art contemporain aux côtés d’artistes comme Folon, Arman ou Ben, entre autres, dans le cadre d’une Monacow-Parade il y a plusieurs années. Son “élégante au bain”, (vache peinte de motifs et couleurs évoquant la mer) s’accorde très bien avec l’esprit plutôt ludique des autres participants. De même vers la même époque, elle a travaillé pour la maison Hermès  à la création d’une “ligne des coquillages” sous sa signature, pendant plus d’un an.

  Ces œuvres étaient déjà empreintes de ses souvenirs d’enfance en Bretagne, dont elle est originaire.

  Mais c’est une artiste qui s’est toujours mise à l’écart des modes, des mouvements, pour n’écouter que sa voix intérieure qui l’a poussé peu à peu à bâtir cette œuvre tout à fait singulière ( au sens propre du mot) qui est déjà marquante, mais qu’elle poursuit avec l’acharnement des artistes qui ont trouvé leur vérité, un sens profond à leur travail.

  Elle a longtemps vécu une vie de marin, sillonnant les mers. C’est alors qu’elle a commencé à faire plein de croquis, de dessins et surtout des aquarelles, d’abord comme notes de voyage, puis comme œuvres à part entière. Certaines de ses aquarelles sont des réussites absolues (c’est un médium qu’elle apprécie particulièrement). Toutefois, pour réaliser des œuvres plus majeures, elle est passée naturellement à la peinture à l’huile sur toile. Ses grands maîtres de référence sont Bonnard, Marquet et Hopper justement, qu’elle connait de longues dates.

  C’est sous l’influence sans doute de Marquet qu’elle centrera son travail sur l’étude très approfondie de la lumière, cherchant comme lui à la “synthétiser” pour mieux l’appréhender et donner une dominante fondamentale au tableau. Elle aura donc, elle aussi, sa période “gris” qui va la caractériser pendant quelques années, comme une signature qui la situait pratiquement aux antipodes des tendances fortement colorées qui dominaient alors. Mais cette tonalité qui détonnait précisément, la faisait ressortir du lot commun et l’on pouvait mieux remarquer la densité de son travail, les constructions savantes des lignes de force de chaque œuvre et la maitrise totale de l’ensemble dans chaque tableau.

  Peu à peu toutefois, sa palette s’est éclaircie. C’est avec un don très particulier qu’elle arrive à reproduire, ou plutôt à faire ressentir l’atmosphère d’un lieu (que ce soit en Bretagne d’abord puis sur la côte d’azur ou en montagne), d’une saison chaude ou froide (voir ” Dimanche d’hiver” par exemple), ou la tessiture bien particulière d’une matière, la neige notamment.

  Après sa période “mer”, elle va s’investir pour longtemps dans une période “neige”, installant alors son atelier dans les Alpes du Sud. Toute une longue série sur ce thème va naître jusqu’au moment ou elle a eu l’impression d’avoir un peu épuisé ce sujet sans fin.

  Ce qu’il y a de commun dans ses œuvres très diverses, c’est une impression de profondeur, d’une recherche sur le pictural lui-même (qui caractérise foncièrement l’art moderne). Beaucoup de ses personnages sont solitaires, vus de dos souvent, et même sur une plage par exemple, on a l’impression que les personnes sont plongées dans leur monde intérieur (le tableau “Réflexions” évoque cela sans doute, avec un cadrage en plongée qui renforce l’effet).

     Le monde de l’enfant est aussi très présent, il offre un autre regard, plus naturel, plus sensible, c’est certainement un propos délibéré de l’artiste, ce qui permet aussi de jouer sur le temps  comme elle joue sur l’espace. D’ailleurs son vocabulaire pictural reste simple pour donner plus d’impact à l’essentiel. (Des rochers, des bouts de mer, quelques bateaux, quelques personnages, des maisons de bords de mer, quelques télésièges en montagne, ou des skis plantés dans la neige, etc.) Et l’opposition avec des lignes de force puissantes: des jetées, des phares, de grosses bâtisses, etc. renforce les dynamiques sous-jacentes, ce qui épure une composition d’ensemble déjà expurgée de fioritures inutiles.

       Ceci accentue encore cette impression de profond mystère qui ressort de l’ensemble et que l’artiste cultive, c’est pourquoi nous avons parfois l’impression d’être devant des “tableaux-sentiments” et elle rejoindrait ainsi, sans le vouloir, une tendance actuelle que j’évoquais plus haut.

       De même, on peut trouver dans plusieurs de ses œuvres un humour sous-jacent (avec “Sens-interdit” par exemple et surtout les compositions à la Hopper ” l’Observatoire” et “Le port de Monaco sous la neige”, qui la situe encore plus dans l’art contemporain.

       Aujourd’hui, d’ailleurs, elle retrouve la magie des couleurs et la volonté d’être intégralement de son époque. Elle fait partie à mon sens des artistes d’aujourd’hui qui comptent, par les qualités indéniables de son travail pictural et par l’originalité absolue de sa démarche.

       Ses œuvres figurent maintenant dans de nombreuses collections, en France et à l’étranger et sa notoriété ne peut que grandir.

                                                                                                                                                  Loïs Levannier

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